Cela commence par l'image approximative et incolore d'un individu masqué. Un homme peut être ? Sa voix rauque et grave le laisse penser, mais les bandages qui couvrent son visage, à moins que ce ne soit un masque fracturé, ne donnent aucun autre indice. Elle vous parvient, cette voix, comme un murmure à votre oreille. Son simple son vous terrifie, fauché par une peur indescriptible et incontrôlable face à cette résonance qui martèle vos tympans en un écho vindicatif, et pourtant, si harmonieux à la fois.
« Au premier jour du grand dessein, il est dit que le soleil s'était levé sur la terre quand Loth entra dans le Tsoar. Alors l'Éternel fit tomber sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre et de feu... »
« Il détruisit ces villes et toute la plaine, et tous les habitants de ces villes. La femme de Loth regarda en arrière, et elle devint une statue de sel... »
« Abraham se serait levé de bon matin pour se rendre à l'endroit où il s'était tenu en présence de l'Éternel. De là, il aurait tourné ses regards du côté de Sodome et de Gomorrhe et vers toute l'étendue de la plaine. Et il vit monter de la terre une fumée, semblable à la fumée d'une fournaise. »
La voix change, pour en combiner deux autres, celle masculine et brisée qui murmure comme une victime de la maladie sur son lit de mort, et celle féminine d'une jeune fille à l'intonation fluette. D'un écho unique et plus doux, elles s'harmonisent pourtant avec la même force vindicative.
« Mais l'Éternel n'était point la cause de cette purification car celui-ci n'était et n'est toujours qu'un mirage.
C'était l’œuvre des catapultes, de pierres enflammées et de lames acérées, commandées par ceux qui depuis l'origine garantissaient l'équilibre dans le ciel et sur la terre.
Ceux qui possédaient la vérité avaient dans leur sagesse, décidé de mettre fin à la médiocrité et à l’ignominie, de ceux qui dans leur décadence, avaient conclu un pacte avec le chaos. »
« La voyez-vous passer, la nuée au flanc noir ? Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir. Morne comme un été stérile, on croit voir à la fois, sur le vent de la nuit, fuir toute la fumée ardente et tout le bruit, de l'embrasement d'une ville, au cœur de la nuit. D'où vient-elle ? Des cieux, de la mer ou des monts ? Est-ce le char de feu qui porte les démons ? Ô terreur, de son sein, chaos mystérieux. D'où vient que par moments un éclair furieux, comme un long serpent se déchaîne dans les cieux. »
Leurs voix disparaissent, remplacées par la voix d'une femme froide et dure, portée par un soupçon de haine et de colère qui vous submerge. Elle abat ses mots dans votre âme avec la force d'un marteau de forge sur vos os, et accroit ainsi la douleur de ce rêve brutal.
« L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zone des armées. J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva.
Et dans ce jour d’Août le plus chaud de l’année, bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même. C’est à toi que je songe, Italie mère de mes pensées. Et déjà quand Von Kluck marchait sur Paris avant la Marne, j’évoquais le sac de Rome par les Allemands.
Le sac de Rome qu’ont décrit, un Bonaparte, le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin. Je me disais... est-il possible que la nation, qui est la mère de la civilisation, regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire ? »
« Ô nuit, ô nuit éblouissante. Les morts sont avec nos soldats. Les morts sont debout dans les tranchées, ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimées. Nous jetons nos villes comme des grenades. Nos fleuves sont brandis comme des sabres. Nos montagnes chargent comme cavalerie. Mais n'espère pas de notre part une once de pitié. Nous réservons la vérité pour ceux qui ont offensé notre monde. Ceux qui dans leur décadence, ont choisi la perversion et l'insuffisance, et ainsi en toute évidence, crié la venue de leur jugement dernier. Le jugement obtenu de notre conviction exprimée, par la purification des larmes et du feu dégoulinant. »
La froideur s'éteint, laissant place à l'écho caressant et aimant d'une voix féminine tellement plus charmante. Celle-ci met fin au martèlement et transporte votre esprit vers des lieux plus chaleureux, captivant vos sens de sa douce mélodie, touchante, telle la lumière de paix dans des ombres de peur et de sang.
« Il éclate avec une fureur sans égale, le feu rapide et véhément. Nous le louons au-dessus de la terre. Le feu, cruel météore de l’aube. Sur la plus haute tempête, plus haute que les nuages. Grand est son souffle, il ne faiblit jamais.
Depuis les noces de Llyr, son chemin est un ruisseau. Il rage dans les grands courants, dans les sourires de l’aube, repoussant l’obscurité. Dans l’aube, avec violence, à chaque saison convenable, à la saison de ses détours, aux quatre phases de sa course. Je veux exalter la violence, de son tumulte et de sa colère profonde. »
« Comme il fut exalté de sa violence autrefois, dans la ville corrompue et dégoutante. Cette Londres ravagée, par le fléau de l'homme et de ses désirs détraqués. Fléau qui a appelé à un rappel à l'ordre des maîtres incontestés, de ce monde subissant tant de véhémence. Pourront-ils jamais comprendre l’œuvre suprême ? Elle qui dépasse leurs esprits étroits et rongés, par leur vie de débauche entre les murs étriqués de leurs habitations.
Ces murs qui n'ont pour but que de leur cacher la vérité du monde, qui s'ils la voyaient brûlerait leurs yeux. Des choses terribles et magnifiques, qui existent et subsistent bien au delà de ce qu'aucun ne pourra jamais concevoir. Un aperçu donné par ces habitations anéanties, trop vite oublié par les siècles passés. C'est pourquoi l'heure est venue de mettre en marche la vérité, afin que jamais l'humanité ne puisse l'oublier. »
Le rêve cesse et un sommeil inconscient, vide et profondément noir, vous étreint.