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Récit destiné uniquement aux personnages de type « Jumeau »
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Ils sont venus de nulle part. Sans s'identifier, sans sommation, ni exigence et les choses ont pris une tournure... affreuse. Cela faisait à peine deux nuits que j'avais rejoint ce groupe excentré de Hillsboro. Je mourrais de faim à mon arrivée. Tous les coins que j'avais pu fouiller les jours précédents s'étaient révélés vides du moindre bout de pain rassis, ou de la plus petite conserve. J'aurais même mangé de la pâtée pour chien s'il y en avait eu, et mon état était franchement lamentable.
À force de fuir, entre les hordes qui migraient de plus en plus et les groupes de capture de ce tyran appelé le Marchand, je n'espérais plus trouver un seul coin où pouvoir me reposer avec d'autres gens qui ne chercheraient pas à me faire du mal. Du coup, je ne me suis pas posé de question et maintenant, je me sens si coupable. Est-ce qu'ils sont venus pour moi ? Ou est-ce moi qui me suis retrouvé au mauvais endroit et au mauvais moment ? Tout ce qui me revient à l'esprit, c'est que c'est arrivé de nuit et de ce que disent les autres, nous avons vécu à peu près la même chose.
Des hommes armés jusqu'aux dents, habillés et casqués comme des commandos militaires. La surprise d'une telle intervention digne d'un scénario préapocalypse avait été aussi grande que leur venue en elle-même. La plupart portaient des espèces de masques équipés de lunettes de vision nocturne intégrées. Je dormais dans une caravane à ce moment-là, avec une femme du groupe. Pauvre Mayra. Le temps que l'on réagisse après que les hurlements et les quelques coups de feu ne nous aient sortis du lit d'un sursaut de terreur... Elle avait tout juste pu s'emparer de son fusil et ouvrir la porte qu'ils l'avaient exécutée d'une balle en pleine tête. C'est à peine si j'ai perçu la détonation étouffée par un silencieux.
J'ai vu beaucoup de gens mourir depuis que tout ça a commencé et pas forcément à cause des charognes. Mais je n'avais jamais vu une arme faire exploser à moitié un crâne comme ça. Je me suis retrouvé pétrifié pendant quelques secondes, assez pour que ce sentiment d'être condamné d'avance ne me serre les entrailles. Alors, quand ces types sont entrés dans la caravane en me pointant avec leurs fusils, me fixant de cette lueur verdâtre artificielle, je n'ai rien trouvé de mieux que de lever les mains sans avoir dévissé mon cul du lit, muet comme une carpe.
Mon comportement sur le coup a été stupide. Ils l'avaient tuée elle, sans aucune hésitation ; pourquoi ils ne me feraient pas la même chose ? Lorsque l'on s'imagine projeté dans une situation d'urgence, ou imprévu, on théorise toujours des réactions bien moins décevantes que celles que l'on aura en réalité. Je me suis senti vraiment minable, de savoir que j'allais mourir de cette façon, abattu comme un chien, torse nu, en caleçon, assis et les mains levées, après un an à survivre à des épreuves que je ne me serais pas cru capable de surmonter.
Ce n'est pas ce qui est arrivé. Ils m'ont ordonné de sortir et je n'ai rien dit, je me suis contenté d'obéir. Dehors, les cris avaient cessé et en moins de dix minutes, ils avaient tué la moitié du groupe, fait sortir mes semblables et nous ont alignés genoux à terre, puis nous ont mis un sac en toile sur la tête. Je sentais ma respiration me brûler les lèvres et j'entendais celles des autres, paniqués ou résignés. Il y avait eu des pleurs aussi. Nous sommes restés comme ça un temps fou, je crois, en tout cas c’était comme si nous avions attendu des heures que la sentence tombe.
Après... Eh bien, après, je ne me souviens plus de rien. À moins qu'au fond, je ne souhaite pas me le rappeler. Tout ce que je constate désormais, c'est que je suis de nouveau vivant, des mois plus tard et je n'ai aucune idée de ce qui a pu m'arriver. Je me retrouve à devoir faire des choses que je ne veux pas faire, mais je n'ai pas le choix. Je ne veux pas mourir, aucun de nous ne le veut et il le sait. C'est pour cela que l'on ne peut rien faire d'autre qu'obéir et ça me bouffe de l'intérieur, un peu plus chaque jour.
Jusqu'à quand je vais pouvoir continuer à jouer cette comédie ? Je commence à me dire que je n'en sortirai jamais. J'aurai toujours nécessité de ces foutues injections et il ne me laissera aucune autre option. Nous sommes ses pantins et quand il n'aura plus besoin de nous, il nous jettera au feu sans une once de regret.