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Récit destiné uniquement aux personnages de type « Rescapé »
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Le monde civilisé s'était effondré, broyé par un fléau trop bien huilé que rien n'avait été en mesure de stopper, pas même l'arsenal militaire pourtant démesuré. Impuissants devant l'épidémie qui avait transformé le tout commun en dévoreur de chair infatigable, c'est au sein du Texas que vous avez été pris dans la tourmente, contraints par un mal auquel rien ne vous avait préparé et que votre seul instinct réellement solide dans tout ce chaos incitait à la fuite permanente. De refuge en refuge, ou de zones abandonnées vers des abris dissimulés - en solitaire, vous avez tout tenté pour sauver votre peau et peut-être celle de vos proches, mais ça n'a jamais suffi.
Les uns après les autres, vous avez perdu chacune des personnes qui avaient pu compter un minimum pour vous dans les premières semaines de l'apocalypse ; tout au plus. Bien trop vite, c'est seul qu'il a fallu affronter l'effroi, la faim et la souffrance des blessures accumulées dans cette vaine lutte contre les râles, les ongles griffus, les pillards que toute empathie avait quittés au profit des uniques désirs incontrôlables de survie et de débauche, et contre l'absence de tout soutien - de toute structure durable. Voilà dans quel état vous êtes arrivé du côté de Snyder, au cours de l'été allant de Juin à Août 2034.
Une étape probablement hasardeuse, à moins que vous ayez nourri l'espoir fou d'y retrouver des proches, ou bien était-ce dû au caractère isolé de cette petite ville texane qui vous a laissé imaginer y être moins en danger ; celle-ci ou une autre, après tout, quelle importance ? Quoi qu'il en soit, à l'instar de vos autres escales, vos premiers intérêts relevèrent de l'élémentaire : de l'eau, de la nourriture, un abri dans lequel se confiner afin de passer la nuit et, peut-être enfin, un peu de quiétude à l'issue. Malheureusement, car le désastre n'a pas épargné le moindre recoin de la région, vos efforts se sont révélés vains... avant qu'il ne vienne à vous.
Un homme, grand de taille, large d'épaules, le visage épuré et rasé de près, la coiffure soignée et il était vêtu d'un costume aussi propre qu'incompatible à l'époque, un état de fait en mesure de vous choquer en soi. Il s'était montré si avenant, lui qui avait surgi d'à peu près nulle part, étranger à toute souffrance et toute privation. Si poli, si patient, tellement simple, amateur de sourires agréables et constamment les mains dans les poches... la quintessence de la méfiance et de l'anormalité au temps des fous et des sauvages. Il se peut que vous l'ayez fui au départ, menacé, vilipendé, rejeté en bloc, refusant de croire qu'un tel individu puisse avoir quelconque intention louable à votre égard, un piège trop grossier sans doute, et pourtant rien de tout ceci ne vint.
Que cela lui ait pris des heures ou des jours, à mesure que vous vous épuisiez à tenter de vous en sortir par vous-même, il aura adopté la même attitude : proposer de vous parler, essayer de vous rassurer, prendre congé dans le but de ne pas trop insister si besoin est et vous promettre de revenir, ce qu'il aura fait. Chaque jour. Sans faute. Il est des chances que vous soyez resté sourd à son envie de faire connaissance et à ses explications, lui qui vous offrait de vous conduire vers un abri tout proche et sûr, où quelques stocks bien garnis, des lits décents et des murs solides seraient bienvenus pour que vous puissiez vous remettre de vos cruelles tribulations.
Et que ce soit par manque de choix, au bout du compte, ou que vous ayez montré une grande attention dès le départ face à ce mirage ô combien déroutant, vous l'avez suivi. Vous avez marché à ses côtés, au beau milieu de la rue, atteint par le calme apaisant de cet inconnu sans d'ailleurs rencontrer le moindre errant putride pour vous agresser, et ce jusqu'à arriver aux abords d'un lieu que vous n'auriez certainement pas soupçonné, tant il est contre-intuitif : le
Codgel Memorial Hospital, un édifice conséquent pour une petite ville, entouré de hauts murs ; comme l'avait annoncé celui qui s'était présenté sous le nom de Raphaël.
Et la dernière chose dont vous vous souvenez, c'est de vous être avancé devant le fort imposant et impressionnant portail de fer clos, derrière lequel une marée de morts-vivants s'est retrouvée cloîtrée. En dépit de la terreur inspirée par cette vision cauchemardesque, l'homme à la sérénité inaltérable vous y avait fait une promesse : vous ne serez plus confronté à la douleur, à la faim, à la soif et à la solitude. Il a déclaré que vous vous apprêtiez à participer à un grand projet, quelque chose d'incroyable et magnifique, afin de peut-être un jour donner au monde une seconde chance, auprès d'autres rescapés. Il n'y avait qu'une chose à faire : dire oui et entrer. Vous l'avez fait.
Le reste de votre mémoire est... amputée, fracturée, juste retour de bâton vis-à-vis des ressuscités. Qui donc ? Vous ne saurez plus, toutefois, ce terme vous restera inexplicablement en tête. Des images un peu trop claires, ou trop ternes, se distingueront dans le brouillard : un secteur d'hôpital somme toute banal, l'ancienne aile psychiatrique transformée en zone de vie, avec des chambres, des repas partagés auprès d'autres gens comme vous, le visage brouillé de Raphaël et la confiance qu'il vous inspirait pourtant.
Mais aussi des faciès bien plus effrayants, à la peau craquelée et aux yeux injectés de sang, si proches du vôtre, ainsi qu'une vive luminosité blanchâtre éblouissante. Des écrans, de part et d'autre, où des myriades de captures vidéos dramatiques de villes effondrées et en proie à des flammes infernales défilent, des données et des statistiques frénétiques qui n'auront plus de sens, des schémas et des croquis trop obscurs désormais s'alignant dans un balai ininterrompu. Des bribes de souvenirs tellement apaisants pour certains et angoissants pour d'autres, globalement inconsistants et troublants, avec si peu de nuances, que vous en serez affligé à l'émergence d'un profond sommeil, sous les soubresauts de l'étrange véhicule qui vous transporte...